Des désaccords à Genève autour de la loi sur l’énergie

Des désaccords à Genève autour de la loi sur l’énergie

Le Grand Conseil a récemment modifié et assoupli la loi, en mettant notamment fin à l’utilisation de l’outil d’indice de dépense de chaleur qui mesure la consommation réelle des bâtiments.

Une décision que dénonce aujourd’hui (jeudi) le Conseil d’Etat genevois, affirmant que « le texte voté attaque les objectifs […] de transition énergétique du canton ». Il a ainsi décidé ne pas publier la loi concernée, comme l’autorise la Constitution. Un consensus doit désormais être trouvé et d’ici là, la loi sur l’énergie actuelle continue de s’appliquer.  

Les précisions du Canton de Genève :

Loi sur l'énergie votée par le Grand Conseil : un encouragement à l'inaction 

Le département du territoire a présenté ce jour les impacts énergétiques et climatiques, tous deux significatifs, de cette nouvelle loi, suite à la modification de la loi sur l'énergie votée par le Grand Conseil (L 12593). Par ailleurs, le Conseil d'Etat a décidé de faire usage de l'article 109, al. 5 de la Constitution cantonale et ne publie pas la loi concernée. Le Conseil d'Etat réunira les milieux professionnels concernés pour dégager un consensus. Il reviendra prochainement devant le Grand Conseil avec ses propositions. Dans l'intervalle, la loi sur l'énergie actuelle et son règlement s'appliquent en plein.

Une prime à l'inaction

La loi telle que votée par le Grand Conseil met fin à l'utilisation de l'outil d'indice de dépense de chaleur (IDC) qui mesure la consommation réelle du bâtiment et est ancré dans la loi sur l'énergie. L'IDC est remplacé par le certificat énergétique cantonal des bâtiments (CECB), une étiquette énergétique basée sur des données théoriques du bâtiment qui ne correspond pas toujours à la consommation réelle de chaleur du bâtiment.

Le texte voté attaque les objectifs, ambitieux et échelonnés dans le temps, de transition énergétique du canton. Les bâtiments les plus énergivores (catégories F et G) ne devront plus faire l'objet de travaux de rénovation énergétique avant 15 ans et respectivement 10 ans. Les premières obligations sont ainsi reportées à l'année 2033. De plus, pour les bâtiments appartenant à la catégorie intermédiaire (E), la loi ne prévoit plus aucune obligation alors que le règlement leur demande des mesures d'optimisation énergétique, qui permettent un gain énergétique entre 15 et 30% sans travaux plus importants de rénovation.

Par ailleurs, le dispositif introduit par le Grand Conseil crée un goulet d'étranglement pour les métiers du bâtiment et les experts énergétiques. Sans étape intermédiaire avant 2033, le risque de revivre la même situation que pour le changement de simples vitrages est important. Le Conseil d'Etat avait précisément identifié ce risque raison pour laquelle le règlement actuel donne des échéances lissées sur 10 ans permettant ainsi aux différents acteurs d'absorber la demande.

Un système qui ne permet pas d'atteindre les objectifs énergétiques et climatiques

Les différences entre les deux systèmes sont significatives. En substance, les délais accordés par la loi 12593 et le faible nombre de bâtiments visés impactent directement la diminution des émissions de CO2 et la baisse de la consommation d'énergie. En termes d'impact CO2e, la différence est du simple au triple (105'000 tonnes CO2e contre 342'000 tonnes CO2e), tandis que pour la baisse de consommation d'énergie, l'écart est encore plus important (1583 GWh contre 485 GWh).

Pour rappel, les bâtiments représentent 40% des émissions de gaz à effet de serre totales et environ 50% de la consommation énergétique du canton. En retardant significativement les échéances de rénovation énergétique des bâtiments et en renonçant aux obligations d'optimisation énergétique, les objectifs du plan climat cantonal ne seront pas tenus.

Impacts financiers

D'un point de vue financier, la loi votée introduit un mécanisme qui fait porter aux contribuables une augmentation significative des coûts des rénovations privées (CHF 8,3 à 50 millions par an), qui sont par nature du ressort du propriétaire. Les locataires seront eux doublement pénalisés. En effet, le mécanisme visant à répercuter les coûts sur les loyers s'applique en plein et la suppression des mesures d'optimisation, par exemple en matière de chauffage, privera les locataires d'une baisse des charges, qui peut être conséquente. A titre d'exemple, le programme "solution chaufferie" des SIG Eco21 a entraîné une baisse des charges pour les locataires de CHF 7 millions en 2022. Enfin, la perte de chiffre d'affaires à l'horizon 2030 pour les métiers du bâtiment est estimée entre CHF 904 millions et 1,2 milliard, représentant une perte sèche pour l'économie locale.  

Rappel du contexte

L'IDC est un outil maitrisé et connu des professionnels de l'énergie et des métiers du bâtiment. Il a été introduit dans la loi sur l'énergie en 1993. Les obligations d'amélioration énergétique de travaux en cas de dépassement de certains seuils ont quant à elles été introduites dans la loi de 2010, votée par la population genevoise et mise en œuvre avec le règlement du Conseil d'Etat. A la suite de larges travaux de consultation, dont près de deux ans avec les milieux concernés qui ne se sont jamais opposés au principe de l'IDC. Le règlement en vigueur a été renforcé depuis le 1er septembre 2022.

Non-publication de la loi 12593

En application de l'art. 109 al. 5 de la Constitution cantonale, le Conseil d'Etat a décidé, lors de la séance ordinaire du 27 septembre 2023, de ne pas publier la loi 12593 telle qu'issue du vote du Grand Conseil. En effet, celle-ci a fait l'objet d'un amendement général, que le Conseil d'Etat n'a reçu que quelques heures avant son dépôt et qui n'a donc pas pu faire l'objet d'un examen approfondi en commission. En conséquence, le Conseil d'Etat dispose d'un délai de 6 mois pour présenter au Grand Conseil ses observations et éventuelles propositions. Il entend profiter de ce temps pour réunir les milieux professionnels concernés et dégager un consensus.